
Il fut l’un des plus proches collaborateurs de l’ancien président François Bozizé, en tant que Secrétaire Général du parti Kwa Na Kwa (KNK).
Au lendemain de la condamnation à perpétuité de ce dernier,
Bertin Béa, aujourd’hui vice-président du KNK, et en exil en France, sort de son silence dans un entretient exclusif accordé à Centrafrica.
Situation politico-sécuritaire en RCA. Opposition au président Touadera. Relations franco-centrafricaines. Situation du parti KNK, et plus encore…
Celui longtemps considéré comme le gardien du “temple”, donne sa part de vérité sans tabous et sans réserves.
Le président fondateur de votre formation politique a été condamné à la prison à vie par la justice de son pays pour sa tentative de coup d’état en 2021. Pour vous, qui avez longtemps été un de ses plus proches collaborateurs, comment réagissez vous à ce verdict ?
L’ancien Président de la République de la RCA, François BOZIZÉ YANGOUVONDA, a été condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité par la Cour d’appel de Bangui notamment pour « complot » et « rébellion », ainsi que deux de ses fils et vingt autres co-accusés.
Je dénonce ce procès politique et les condamnations par contumace de François BOZIZÉ et des autres opposants. Le pouvoir totalitaire actuel utilise tous les leviers légaux et illégaux qu’il a à sa disposition pour faire le vide autour de lui en tentant d’éliminer politiquement tous ses opposants.
Plusieurs cadres du KNK l’ont suivi dans cette aventure. Certains ont été comme vous contraints à l’exil. Comment expliquez-vous sa décision de prendre les armes ?
Deux faits majeurs expliquent la décision du Président fondateur du KNK de prendre, à nouveau, le chemin de la rébellion, à savoir Primo, la décision prise par la Cour Constitutionnelle le 03 décembre 2020 portant invalidation de sa candidature à l’élection présidentielle de 2021, qui est une décision inique.
Secundo, M. TOUADÉRA s’est fait réélire grâce à un hold-up électoral dans les conditions que nous savons. C’est donc face à cette situation qu’il a pris la décision courageuse et responsable de créer la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC) le 15 décembre 2020.
D’ailleurs, le niveau de dégradation de la situation socio-politique, sécuritaire, économique et financière que traverse la République Centrafricaine atteste de la justesse de cette option de la lutte armée pour opérer un changement afin de mettre un terme à ce régime anti-national et anti-démocratique.
Quel état des lieux faites-vous de votre parti le KNK aujourd’hui ?
Évidemment, cette option a été préjudiciable pour le KNK : départs en exil de nombreux cadres et militants. À l’heure actuelle, beaucoup d’entre eux sont traqués, stigmatisés et frappés d’ostracisme au sein de l’administration publique. Certains vivent dans la clandestinité totale en raison du climat de terreur imposé par le groupe Wagner et ses supplétifs locaux.
Vous n’avez jamais publiquement condamné la tentative de coup d’État du 13 janvier 2021 conduite par l’ancien président Bozizé ? Étiez-vous donc d’accord avec cette initiative ?
Comment et pourquoi fallait-il condamner cette tentative de prise de pouvoir par la force par la CPC face à ce désastreux tableau décrit ci-dessus ?
Bien évidemment, un tel contexte donne une pleine signification à la formule de Mao Tsé-toung : « Le pouvoir est au bout du fusil ».
Par ailleurs l’article 29 de notre Constitution du 30 mars 2016 rappelle que “… tout citoyen ou groupe de citoyens a le droit et le devoir de s’organiser d’une manière certes pacifique, pour faire échec à l’autorité illégitime.”
Quelles sont les relations que vous entretenez avec François Bozizé aujourd’hui ?
En prenant la décision de créer la CPC, le Président fondateur de notre parti a pris définitivement ses distances avec le KNK.
Il fait désormais l’objet d’une condamnation injuste, il ne bénéficie plus de ses droits civique et politique, ce qui le poussera lui et la CPC, à la radicalisation et à de nouveaux troubles en RCA.
Aux yeux de la justice aux ordres de la RCA, il est devenu infréquentable.
Des sources diplomatiques françaises ont annoncé une probable “normalisation de la relation bilatérale entre la RCA et la France” suite à la rencontre des présidents Touadéra et Macron le 13 septembre 2023. Quelle lecture faites-vous de la relation entre ces deux pays ?
Je m’interroge sur la fiabilité des sources diplomatiques françaises auxquelles vous faites allusion. Ma lecture est aux antipodes de votre assertion.
Pour ma part, M. TOUADÉRA a accepté de faire le déplacement de Paris à contrecœur. D’ailleurs, les russophiles de son propre camp n’ont guère apprécié l’initiative de cette rencontre avec le numéro 1 français. Ils n’ont pas hésité à qualifier ce déplacement de Paris de « voyage à CANOSSA ».
La question qui se pose est de savoir si le locataire du Palais de la Renaissance avait d’autres alternatives, face à la situation réelle du pays qui est très difficile.
Les caisses de l’État sont désespérément vides depuis la suspension de l’aide financière par certains partenaires traditionnels occidentaux ; L’État centrafricain ne doit sa survie que grâce à la perfusion financière de la Banque Mondiale et du FMI.
L’insécurité est de plus en plus grandissante sur la quasi-totalité du territoire national en dépit de la présence du groupe WAGNER et des forces Rwandaises qui éprouvent toutes les peines du monde pour parvenir à l’anéantissement des groupes politico-militaires.
Une tension sociale est de plus en plus perceptible en raison de la non satisfaction des besoins élémentaires de la population, du manque d’eau potable, de nombreux délestages d’électricité, du manque de soins dans les hôpitaux et dispensaires tant à Bangui que dans l’arrière -pays, ainsi que pour l’éducation de nos jeunes.
L’on assiste à une hausse vertigineuse des prix des produits de première nécessité : riz, farine, carburants, huile végétale, etc…Les filières de production sont totalement sinistrées du fait de l’absence d’infrastructures routières et du climat d’insécurité permanent.
Face à un tel tableau, on peut se demander comment la patrie de VOLTAIRE, MONTESQUIEU, ROUSSEAU, et ZOLA peut-elle apporter une caution politique et diplomatique à un régime honni et vomi par sa population ?
Les autorités françaises ont-elles choisi de passer par pertes et profits toute la campagne anti-française orchestrée à partir de la Présidence de la République avec l’appui des Conseillers techniques russes et du groupe WAGNER ?
Vous êtes farouchement opposé au président Touadéra. Cependant, des militants de votre parti naviguent à contre-courant. le Président de la jeunesse du KNK, Kévin Kpefio, a milité pour le “Oui” lors du référendum constitutionnel. Il est suivi par un grand nombre de militants du KNK. Comment expliquer cela ? Y aurait-il une scission au sein de votre camp ?
L’ancien président de l’organisation nationale de la jeunesse du KNK a été radié à juste titre des rangs du parti. Son positionnement est tout simplement opportuniste, parce que guidé par des raisons alimentaires et l’appât du gain.
Il a réussi à détourner une poignée de militants et militantes pour aller à la mangeoire du MCU. Leurs actions sont très marginales. Tout cela participe de la stratégie du parti présidentiel et de M. TOUADÉRA d’affaiblir ou sinon de faire imploser les formations politiques d’opposition et de la société civile les plus significatives.
Si le président Touadéra vous fait appel pour faire partie du prochain gouvernement. Quelle sera votre réponse ?
Je ne répondrai pas à ses éventuelles sollicitations gouvernementales partisanes suite à son coup d’État constitutionnel.
Avant l’organisation du référendum constitutionnel, j’ai essayé, dans une dernière tentative pour empêcher l’irréparable, de vouloir instaurer un dialogue avec lui, je n’ai jamais eu de réponse.
Quelle relation entretenez-vous avec le président par intérim du KNK, Christian Guenebem ? Plusieurs voies au sein de la classe politique vous disent en froid.
J’entretiens d’excellentes relations avec le Président par intérim, le Grand Ouvrier Christian Olivier GUENEBEM DEDIZOUM. C’est un Cadre techniquement compétent et politiquement conscient selon une formule chère à nos Anciens de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France).
La question de nommer au sein du parti un Président en titre et non plus dit intérimaire ne se pose pas aujourd’hui. Elle suppose l’organisation d’un nouveau congrès en RCA. Je ne cours pas après les titres, le statu quo actuel me convient. Seul le poids politique compte.
Le KNK donne l’air d’une famille décimée aujourd’hui. Votre parti peut-il encore jouer un rôle important sur la scène politique centrafricaine ?
Le KNK donne l’air d’une famille décimée aujourd’hui, dites-vous. Dans toute famille, il y a des récalcitrants, des indisciplinés. Face à cette indiscipline, la main du Président par intérim et du Bureau politique n’ont pas tremblé. Ils ont pris les mesures de radiation qui s’imposaient.
Je dis haut et fort que le KNK est la formation politique la plus représentative de la RCA. C’est pourquoi, pour les prochaines consultations, notre parti sera présent et il faudra compter avec le KNK, même si l’éloignement actuel de la direction du parti est un handicap et si le bourrage des urnes à notre détriment est probable.
Pour l’heure, l’instauration d’une transition politique sans TOUADÉRA est un impératif catégorique.
Selon vous, quels sont les péchés fatidiques du KNK qui vous ont conduit à la perte du pouvoir en 2013 ?
Toute entreprise humaine, toute humaine, rien qu’humaine comporte toujours une part d’imperfections. Depuis le retour d’exil du Président fondateur, le Bureau politique avait entamé un excellent travail d’autocritique sans complaisance.
Ce travail a été interrompu à cause des événements survenus dans le pays. Je saisis cette opportunité pour exhorter les vaillants Ouvriers et les Ouvrières à plus de vigilance, de prudence tout en soumettant à leur méditation deux préceptes importants.
« Une tempête ne dure pas indéfiniment » disait le général de Gaulle.
« Les loups s’entre-déchirent mais chassent en meute » dit un vieil adage.
Il faudra continuer de compter sur nous pour l’avenir.
Vous êtes un vieux routier de la politique en RCA. Comment envisagez-vous la suite de votre carrière politique ?
Je suis très flatté lorsque vous me qualifiez de « Vieux routier de la politique en RCA ».
Je totalise soixante ans d’âge ! Je peux résumer mon parcours en trois étapes.
La première fut dans le milieu du syndicat estudiantin. La seconde fut dans le milieu politique national. Enfin, la troisième fut dans le milieu gouvernemental et parlementaire comme député de la circonscription de Boali, ma région natale, et au Parlement Panafricain.
Ce long et riche parcours m’a permis de côtoyer de grandes figures de la vie politique de notre pays, mais aussi de notre continent et en Europe. C’est dire que, je suis préparé intellectuellement, moralement et politiquement à assumer d’importantes charges étatiques, par la grâce du TRÈS HAUT !