Évariste Ngamana, le jeune loup du président Touadera


Quelles semblent bien loin, ces images du jeune prêtre Évariste Ngamana, officiant la messe à la paroisse de Bohong dans le Diocèse de Bouar.
Quel parcours, pour cet ancien étudiant du grand Séminaire de Saint-Marc de Bangui, qui en moins de 7 ans aura été :
Porte-parole du Mouvement Cœurs Unis (MCU), député, et aujourd’hui, 1er vice-président de l’Assemblée Nationale.
À 47 ans seulement, quelle est la prochaine étape de l’ascension de cet ancien ecclésiastique reconverti en ouvrier politique ?
Devenu un des rares hommes de confiance du président Faustin Archange Touadera (FAT), et combattu de tous bords,
a-t-il encore les chances de garder son poste et de gravir les échelons ?
Après plusieurs mois d’enquête, Centrafrica vous présente le parcours d’un des principaux stratèges du Président Touadera.
La traversée du désert
Occupant les fonctions de conseiller spécial du président du Conseil National de Transition (CNT), l’entité faisant office de parlement lors de la transition de 2013 à 2016,
Evariste Ngamana se présente aux élections législatives de 2015-2016 à l’issue desquelles il essuiera un échec.
Le malheur ne venant jamais seul,
il est débarqué de son poste par le nouveau Président de l’Assemblée Nationale (PAN), le sulfureux Karim Meckassoua (2016-2018).
S’en suit alors une traversée du désert de plus de 8 mois, pendant laquelle le jeune ambitieux demeure sans aucune responsabilité politique.
Se rappelant cette épreuve un de ses proches confie :
« C’est la période de la vie politique où votre téléphone ne sonne plus. Et quand vous appelez les gens, ils ne décrochent plus. Il faut savoir l’accepter et encaisser. C’est ce qu’il a fait »
Après ce séjour au couloir comme on le dit dans le jargon de l’administration publique,
Ngamana est nommé Directeur de Cabinet du Ministère chargé du Secrétariat du Gouvernement.
Fonction qu’il occupera jusqu’à la veille des élections groupées de 2020, où il tente à nouveau sa chance aux législatives.
Cependant, ce ne sera pas chose facile.
Combat fratricide
Les élections, très souvent terrain de guerres intestines au sein des formations politiques…le MCU ne dérogera pas à la règle.
Le patron du parti, Mathieu Simplice Sarandji (SMS), fait et défait les candidats susceptibles de représenter le MCU aux législatives.
Ngamana et plusieurs dizaines de candidats du parti sont écartés.
Frustré mais déterminé à poursuivre son ambition, à l’instar d’un loup,
il fédère la meute de ses « frères et sœurs unis » écartés autour d’un mouvement électoral.
Les indépendants Fatistes.
Un club de candidats qui se présenteront non pas sous les couleurs du MCU, mais en tant que soutiens à FAT.
Les fatistes créent la surprise en remportant plusieurs circonscriptions.
Ngamana est élu député de Carnot dès le premier tour. Pour la majorité des députés fatistes, l’heure est à la vengeance.
L’un d’entre eux confie :
« Une fois élu, on a décidé de tout faire pour empêcher Sarandji d’accéder au perchoir. Il nous avait barré la route, alors maintenant on devait se venger. Mais c’est Ngamana qui nous a calmés. »
Comme alternative à Sarandji, les noms des anciens Premiers ministres Dondra et Ngrebada sont mis sur la table.
Selon un député influent de la majorité,
toutes les conditions étaient réunies pour créer une scission au sein de cette dernière.
« On aurait pu quitter le MCU et créer notre groupe parlementaire. Ou encore, mener une fronde et faire élire Dondra ou Ngrebada au perchoir. Ngamana nous en a dissuadés. Il nous a convaincu de soutenir l’élection de Sarandji au perchoir » déclare le député.
La victoire de plusieurs candidats fatistes. Le rassemblement autour du soutient à la candidature de Sarandji pour le perchoir.
Des initiatives qui feront gagner du galon au jeune député.
Un proche conseiller du président de la République explique :
« C’est à partir de toutes ses stratégies gagnantes qui nous ont beaucoup aidé, que son poids politique a considérablement augmenté. Le président lui fait vraiment confiance pour sa loyauté et sa fidélité. Il est très efficace. C’est le jeune loup du président. »
Une ascension fulgurante
Élu en 2021 député de la ville de Carnot,
il est ensuite élu par ses pairs 1er Vice-Président de l’Assemblée Nationale (1er VPAN), et sera réélu au même poste en février 2022.
Président du groupe parlementaire MCU, il occupe aussi les fonctions de Porte-parole et Rapporteur Général dudit parti.
Une ascension fulgurante qui n’est pas vue d’un bon œil par ses adversaires, tant au sein de l’opposition que dans la majorité.
Divers témoignages recueillis au cours de notre enquête, attestent que le 1er VPAN pourrait voir son siège menacé.
Un député de l’opposition nous partage son analyse.
« Ngamana sert les intérêts d’un système bien huilé. Le jour où il ne servira plus ce système, alors il sera remplacé et un autre prendra sa place. C’est comme une orange qu’on presse, et qu’on jette une fois qu’elle ne produit plus de jus. »
Selon un député réputé proche de l’actuel Président de l’Assemblée Nationale,
Ngamana serait attendu “au tournant” à la prochaine élection du bureau, qui aura lieu en février 2023.
« Il y a plusieurs dossiers contre lui. Beaucoup de députés sont mécontents de sa gestion. Les gens l’attendent au tournant…Je ne pense pas qu’il sera réélu 1er vice-président l’année prochaine. »
À en croire notre source,
les chiens sont lâchés. Les fusils chargés. Des armes à plusieurs coups.
Le jeune loup est dans le viseur.
L’artisan de la nouvelle constitution
104 députés sur 140 avaient signé une pétition en faveur d’une révision de la constitution.
D’après plusieurs députés et membres du Gouvernement, l’homme à la manœuvre derrière cette initiative n’était autre que le 1er VPAN.
Et il n’en restera pas là.
Selon nos informations, il aurait également contribué aux manifestions de la rue.
Un membre du Cercle de Réflexion pour une Constitution Républicaine (CRCR) déclare :
« La majorité des manifestations de soutien à un référendum qui ont eu lieu portent la signature de Ngamana. Même si on ne le voit pas physiquement pendant les marches, il n’est jamais loin dans l’organisation et la coordination. Il est au four et au moulin. »
De fait, certains participants à la grande mobilisation nationale du 06 aout 2022, affirment avoir aperçu le 1er VPAN dans une voiture banalisée,
à seulement quelques mètres de l’évènement qui rassemblait plusieurs milliers de centrafricains au stade 20 000 places à Bangui.
Sa nomination en septembre 2022, en qualité de président du comité chargé de la rédaction d’une nouvelle constitution, fut le signe d’une grande marque de confiance assumée par le président FAT.
Suite à l’invalidation dudit décret par la Cour Constitutionnelle, et l’abrogation de ce dernier par le Chef de l’Etat,
ledit comité se serait transformé en une cellule de réflexion d’après certains députés, avec à sa tête toujours : Évariste Nagamana.
De sources concordantes, cette cellule officieuse travaillerait à la rédaction d’une nouvelle constitution,
qui devrait bientôt être soumise à l’appréciation du président de la République en vue d’un référendum.
Alors que plusieurs observateurs politiques et diplomates en poste à Bangui lui prédisent déjà un destin national,
l’homme se veut pragmatique, et demeure dans l’instant présent.
« Ce que les gens disent et pensent de moi aujourd’hui ne m’intéressent pas. Moi, je m’attèle à ma mission actuelle de député, qui est celle de veiller aux intérêts de la population de Carnot, et de travailler pour mon pays. L’avenir appartient à Dieu. »
Évariste Ngamana